Sparśa, le sens du toucher

Qu’entend-t-on par «  sens du toucher » ?

Lorsque l’on évoque le sens du toucher, on pense tout naturellement à nos mains et à ce que nous pouvons, précisément, toucher. Dans un second temps peut-être, cette idée est reconsidérée pour étendre la réalité du toucher à notre corps tout entier.

Il faut donc ici distinguer le toucher de la préhension et c’est d’ailleurs ce que font les manuels de médecine et d’anatomie. On peut y lire un certain nombre d’éléments sur le toucher mais avant tout sur la peau et sur les innombrables récepteurs sensoriels et tactiles qu’elle recouvre. Ces récepteurs sont plus ou moins sensibles selon les régions du corps et les types de toucher employés. Ils sont des collecteurs d’informations qui utilisent les nerfs comme transmetteurs des influx qu’ils envoient au cerveau par le biais de la moelle épinière. Une fois arrivée au cerveau l’information transmise est analysée et rendue intelligible ce qui nous permet d’en avoir clairement conscience.

En sanskrit, langue dans laquelle les écrits ayurvédiques sont rédigés, on distingue les sens qui permettent le recueil de l’information de ceux qui permettent la mise en action. Le toucher (sparśa) est en réalité à l’origine d’une pièce sur laquelle se trouvent, côté pile, la peau (tvak) et, côté face, la main avec sa faculté de préhension (i). La peau est l’organe permettant de recueillir l’information et la main permet d’agir en réaction à la perception. On pourrait en quelque sorte dire que le toucher se manifeste de deux façons complémentaires, l’une active et l’autre passive. Bien que cette façon de présenter le toucher et ce qui l’entoure soit différente de la vision anatomique qui nous est classique, on y retrouve les mêmes éléments et les mêmes notions : la réception de l’information et la transmission de l’information.

Je reviendrai plus longuement sur les sens d’un point de vue ayurvédique dans un prochain article. Mais il est d’ores et déjà intéressant de préciser que les sens sont chapeautés par manas, le mental. On voit donc que la conception du sens du toucher dans son fonctionnement global est très similaire entre ce que nous connaissons et ce que l’Ayurveda décrit.

Il me semble également utile de préciser que parmi la multitude de récepteurs présents dans notre corps, les nocicepteurs se trouvent être particulièrement nombreux. Ceux-ci sont à l’origine de la perception de la douleur. Grâce à eux, nous pouvons donc ressentir avec davantage de précision les zones de notre corps où la douleur est localisée. Et j’insiste en utilisant « grâce » et non « à cause » car si nous fuyons la douleur, elle est pourtant essentielle à notre vie. C’est ce que disent les médecins et les scientifiques qui écrivent au sujet de ces récepteurs de la douleur. Pourquoi ? Précisément parce qu’ils nous donnent la conscience d’une gêne corporelle et la douleur découlant par exemple d’un mode de vie sédentaire est un signal d’alarme pour nous mettre en mouvement ! 


Le toucher, premier sens à se développer

Mais, le toucher est avant tout un sens fondamental, d’une part parce qu’il est le premier de nos sens à se développer au stade embryonnaire mais également, et particulièrement, parce qu’il est à la base du développement des bébés, et donc des enfants et des adultes que nous devenons. Les bébés entrent en contact avec leur environnement par le toucher, soit en l’observant dans son environnement, soit en le mettant en œuvre et en créant ainsi une relation avec son environnement.  

Cette description met en avant l’observation médicale, technique et, en quelque sorte froide, du sens du toucher : la perception, l’information, l’analyse, la compréhension, etc.

Des chercheurs ont réussi à mettre en évidence que la zone du cerveau stimulée différait selon la partie du corps touchée. En outre, ils ont également démontré que cette zone était stimulée indépendamment du fait que le bébé soit touché par un objet ou le touche lui-même avec la partie du corps en question. Les rédacteurs de cette étude en ont conclu que le toucher est central dans l’apprentissage de la vie parce qu’il est un outil de sociabilisation et de connexion avec le monde environnant. C’est dire l’importance de ce sens qui me semble trop souvent délaissé.

Il est donc incontestable que le toucher est un sens indispensable à l’expérience humaine. D’ailleurs, dans un certain nombre de cultures, dont celle indienne, le massage des nouveau-nés est couramment pratiqué. Si les pratiques se transmettent oralement, il n’en reste pas moins que la documentation qui nous est aujourd’hui accessible donne un certain nombre d’indications sur l’art et la manière de s’y prendre. Je ne sais pas à quelle échelle le massage des bébés se pratique en Inde, bien que l’abondance de textes et ce qui en ressort semble démontrer que cette pratique est répandue. Je sais en revanche que ce n’est pas une pratique avec laquelle j’ai été familiarisé bébé et enfant.

Les vertus de ces massages sont nombreux : améliorer la circulation, assouplir la peau, tonifier les articulations et les muscles, soulager les régions douloureuses. Les bébés sont massés avec des huiles spécifiques, médicinales, mais ils peuvent également être massés dans l’eau, avec une pâte et même avec du lait ou un drap. Le massage du nouveau-né est traditionnellement suivi d’un bain tiède. Il va sans dire que quelle que soit la méthode employée, le massage du bébé doit être d’une grande délicatesse.


L’expression du toucher par la pratique du massage

Masser son bébé, c’est donc favoriser son développement. Cela lui permet de prendre conscience de son corps, de ses contours et, parce que le massage est pratiqué avec des textures et des températures particulières, des huiles aux odeurs caractéristiques et que le contact physique implique une proximité, ce sont en réalité tous les sens qui sont sollicités. Masser son bébé, c’est aussi un moyen de nouer avec lui une relation charnelle et de renforcer le lien maternel ou paternel qui existe.

Le massage ne s’adresse pas qu’aux bébés. Il s’adresse à tout le monde et tout le monde peut donc en tirer de grands bénéfices : se détendre en cas de stress ou après une journée éprouvante physiquement et même moralement, assouplir ses muscles avant ou après un effort, relâcher les tensions de tous types, se réapproprier ou simplement découvrir son corps, etc.

Dans l’Ayurveda, le massage est considéré comme une forme d’exercice et les personnes au mode de vie sédentaire ont ainsi tout intérêt à pratiquer le massage s’ils ne pratiquent aucune activité physique. Certes, l’activité physique et le massage ne sont pas comparables et je n’invite pas ici, au nom de l’Ayurveda, les personnes réticentes à l’exercice physique à ne rien pratiquer d’autre que le massage. D’ailleurs, que le massage soit considéré comme un exercice physique ne signifie en aucun cas qu’il nous est suffisant pour mener une vie saine.

Néanmoins, lorsqu’on se fait masser, nos tissus sont mis en mouvement et réchauffés, ils sont engagés et c’est pourquoi on considère le massage comme un exercice. Il peut d’ailleurs être particulièrement vigoureux, c’est le cas du massage des tissus profonds, vishesh, ou encore le kaphabhyanga, massage indiqué pour les individus ayant spécifiquement besoin de mouvement et de dynamisme. Pour qui a déjà reçu ce massage, et encore plus pour qui le prodigue, il ne fait aucun doute que ce massage est un exercice physique !

Le massage est donc primordial dans l’expression du toucher en tant que sens actif, mais également dans la perception, dans son sens passif (bien que nous ayons vu que la perception fait intervenir de nombreux organes remettant ainsi en question l’usage du mot « passif »). Je dois avouer qu’avant ma découverte de l’Ayurveda et du massage ayurvédique, c’est un sens que j’ai souvent négligé. Je pense que nous avons toutes et tous des affinités particulières avec la nourriture, la musique, l’esthétique, etc. et c’est sans doute parce que d’autres sens m’ont accaparé que j’ai négligé mon toucher, dans tous les sens du terme.

Je remercie grandement l’Ayurveda de m’avoir fait prendre conscience de l’importance de ce sens et je comprends pourquoi certaines cultures érigent en principe d’hygiène de vie quotidienne le massage.

L’Ayurveda nous enseigne que le massage peut être pratiqué sur soi-même. Il n’est donc pas nécessaire de payer un professionnel pour tirer profit du massage qui doit d’ailleurs être pratiqué quotidiennement. Bien entendu, notre mode de vie nous empêche de prendre ce temps mais si nous parvenons déjà à nous masser lorsque nous en ressentons le besoin et si nous prenons parfois un temps un peu plus conséquent, avant de prendre une douche le dimanche par exemple, pour nous masser le visage, les jambes et les pieds ou encore le ventre lorsque la digestion est difficile, nous en ressentiront sans aucun doute les bienfaits.


Pratiques quotidiennes liées au sens du toucher

Je vous propose donc à présent quelques exercices à pratiquer pour renouer avec votre sens du toucher ou le développer encore davantage.

Vous pouvez prendre cinq à dix minutes pour vous auto-masser. Au réveil, par exemple, avant de sauter sur votre téléphone, sous la douche ou d’aller vous préparer votre petit-déjeuner, essayez parfois de prendre le temps de retrouver votre corps après une nuit de sommeil. Vous pouvez vous masser le cuir chevelu, le front, les yeux, le nez, les mâchoires, les oreilles, bref, massez-vous le visage tel que vous en ressentez le besoin.

Si vous n’en ressentez pas le besoin, et ce serait tout à fait normal car nous n’y sommes pas habitués, vous pouvez simplement effleurer les contours de votre visage comme pour le dessiner. Jouez avec les touchers, les pressions, et profitez de ces cinq minutes pour garder votre attention focalisée sur les parties de votre corps s’éveillant à votre toucher, de la pulpe de vos doigts à la paume de vos mains. Effleurez, caressez, tapotez, frottez un peu plus vigoureusement, touchez avec tous vos doigts, ou les uns après les autres et même avec le dos de votre main et vos ongles.

D’autres moments de la journée peuvent se prêter à l’exercice du toucher. Je trouve particulièrement intéressant de garder les yeux clos pour favoriser une concentration sur les sensations qui s’éveillent. En cuisine, vous pouvez vous amuser à toucher tous les aliments que vous allez utiliser ; dans votre garde-robe ou les magasins, touchez les textiles, les différentes matières. Dans le jardin ou en balade dans la nature ou même en ville, amusez-vous de la même façon à toucher les végétaux, l’écorce des arbres, et tout ce qui attire votre curiosité tactile. Et puisque le toucher ne se limite pas aux mains, pourquoi ne pas essayer de solliciter d’autres régions de votre corps ? Découvrez quelles sont, chez vous, les régions de votre corps plus ou moins sensibles au toucher.

Et puisqu’il est question de la peau tout entière et de zones sensibles, pourquoi ne pas se prêter à ce jeu avec un ou une partenaire dans un objectif sensuel ? Je ne parle pas ici de jeu sexuel mais bien de sensualité. Le toucher, actif ou passif, est un moyen pour découvrir son corps et le corps de l’autre. Concevoir le toucher dans toute sa complexité permet d’envisager de nombreuses possibilités dans son rapport charnel à l’autre. De nombreux ouvrages traitent d’ailleurs de cette question et des mille et unes façons d’apprivoiser tant l’autre que soi-même avec un simple toucher.

Je conclurais en vous laissant à la réflexion sur ce sujet si vaste qu’est le sens du toucher avec une citation :

«  La Nature nous a dotés

D’yeux  pour voir ses merveilles,

D’oreilles pour entendre les sons de l’amour,

De nez pour sentir le parfum de la passion,

De langues pour gouter aux fruits du désir,

De lèvres pour embrasser,

Et de mains pour toucher. »

Mantak Chia et Kris Deva North

Sources :

  • CHIA, Mantak & NORTH Kris Deva. Taoist Foreplay Love Meridians and Pressure Points. Destiny Books, 2010. 176 p.
  • GAUTIER, Louise. Massages pour son bébé, les bons gestes pour partager des moments de détente et de complicité. First, 2021. 192 p.
  • JOHARI, Harish. Massage traditonnel ayurvédique. Courrier du Livre, 2011. 180 p.
  • Swami JOYTHIMAYANANDA. La maternité ayurvédique Thaimai. Turiya, 2008. 223 p.
  • Pr. ROBERTS, Alice. Le grand guide visuel du corps humain. Pearson, 2011. 512 p.
  • NEGEN, James. HEYWOOD-EVERETT, Edwa, ROOME, Hannah E. & NARDINI, Marko. Development of allocentric spatial recall from new viewpoints in virtual reality. National Library of Medicine, Mars 2017.
  • JASMIN, Emmanuelle. Le développement du toucher chez l’enfant. Naître et grandir, septembre 2017. (https://naitreetgrandir.com/fr/etape/0_12_mois/developpement/fiche.aspx?doc=naitre-grandir-developpement-sens-toucher, consulté le 20 mars 2023)

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